Double Noeuds
01/01/70 > 01/01/70
expo OR
Production graphique : Alexis Chrun
Commissariat saison 2023-2024 : Corinne Digard et Alexandra Goullier Lhomme
Avec les artistes : Morgane Baffier, Laurie Charles, Diane Chéry, Alexis Chrun, COLLECTIF JTM, Fanny Gicquel, Camille Juthier, Tilhenn Klapper, Konstantinos Kyriakopoulos, Joshua Merchan Rodriguez, Winnie Mo Rielly, Fredj Moussa, Nefeli Papadimouli, Emilie Pitoiset, Louise Porte, Félix Ramon, Cécil Serres et Yoann Ximenes
Avec les participant·es et les enseignant·es des collèges/ établissements :
Beau Soleil (Chelles), Dora Maar (Saint-Denis), Pierre Alviset (Paris Ve), Paul Painlevé (Sevran), EREA Alexandre Dumas (Paris XV), Jean Vilar (Villetaneuse), Pierre Mendès (Paris XX), Jules Michelet (Saint-Ouen), Suzanne Lacore (Paris XIX), Beaumarchais (Meaux), Nicolas Tronchon (Saint-Soupplets), Charles Péguy (Verneuil L’Etang), IME Les Moulins Gémeaux & EHPAD “Ma Maison” Petites Soeurs des Pauvres (Saint-Denis), Denecourt (Bois Le Roi), du Champivert (Crouy-sur-Ourcq), République (Bobigny), La Courtille (Saint-Denis), Collège George Méliès (Paris XIXe)
Note d’intention de la commissaire invitée
Double Noeuds
Orange Rouge est une succession de nœuds, à défaire et à nouer. Du point de vue de l’addition : il y a d’abord une série de liens à créer entre différentes individualités : des élèves en situation de handicap mental, physique ou social rencontrent des artistes qui rencontrent des professeur.e.s et autre personnel encadrant qui rencontrent Orange Rouge et ses équipes, et vice-versa. Ou, en d’autres mots, le milieu du handicap rencontre le milieu de l’art contemporain qui rencontre l’institution scolaire qui rencontre le milieu associatif, et vice-versa. Ou encore, des adolescent.e.s rencontrent des adultes, en fonction du point de vue par lequel on souhaite aborder ce projet complexe : le pari d’une multi-rencontre entre des êtres qui auraient pu ne jamais se croiser, mais qui se doivent de collaborer ensemble. Et voici, peut-être, le premier nœud, non plus à créer, mais à dénouer : comment collaborer ensemble ? En dépit des différences de statut, d’âge, de milieu, de langage, d’intérêt et de sensibilité : comment est-ce possible ? Et surtout, comment créer une œuvre commune ? Car ce qui fait la spécificité d’Orange Rouge, ce n’est pas seulement la mise en place de workshops pédagogiques fugaces qui n’auraient aucune obligation de résultat, mais c’est bien la rencontre et la collaboration étroite entre un.e individu.e − l’artiste, un groupe constitué arbitrairement − la classe − et leurs encadrements respectifs, dans le but d’une co- création qui sera par la suite diffusée au sein d’expositions. Une finalité tangible qui permet de déplacer les enjeux et d’obliger les participant.e.s à se positionner – pour, contre, avec ou en dehors. Il me semble d’ailleurs que dans ce sac de nœuds qu’est la co-création où s’entremêlent les questionnements autour des notions d’horizontalité, de consentement, d’appartenance et de propriété, c’est finalement le choix d’un positionnement qui importe. Sans valeur de jugement − ni bien, ni mal, sans ratage, ni réussite d’ailleurs, chaque module d’Orange Rouge est une tentative unique de réflexion collective, depuis chacun des points de vue de ses participant.e.s, sur comment se situer et se placer au sein du collectif. Trouver sa place, tout du moins tenter de, quoi de plus essentiel quand on est un.e adolescent.e entre 11 et 15 ans, que l’on est à la marge de nos écoles pour ne pas dire de la société, rassemblé.e.s dans des classes, peu importe nos différences, avec nos compères porteur.euse.s de handicap et que notre avenir est dans le noir. Cellule miroir et grossissante de notre société, Orange Rouge nous interroge au final sur les processus de coexistence et de compréhension mutuelles de nos différences, sans oublier de questionner la norme, notre positionnement vis-à-vis d’elle, et d’apporter des éléments de réponse sur comment la déjouer.
Pour la saison 2024, s’ajoute un autre nœud à l’équation : celui du corps, notamment à travers le médium de la performance, à cheval lui aussi entre deux autres nœuds : celui des arts visuels et celui des arts vivants. Mais comment inviter le corps dans le débat ? Cet élément certes essentiel et évident lorsqu’il s’agit de trouver sa place, mais problématique pour un public à la fois porteur de handicaps et adolescent. Comment utiliser son corps quand il est en pleine métamorphose ? Quand des boutons apparaissent sur nos visages, quand notre pilosité se développe, que nos seins poussent, que nos voix muent et nos os s’étirent au point où l’on doit complètement réévaluer les distances entre nous et le monde ? Comment oser utiliser ce corps qui change tous les jours et ne fait que nous échapper ? Comment l’apprivoiser ? Comment affronter le regard des autres au sein du sanctuaire de la norme : le collège ? Comment le et se désinhiber ? Comment utiliser son corps lorsqu’il ne correspond pas à la norme ? Comment faire de nos différences et de nos spécificités une force ? Et lorsque l’on n’a pas accès au langage, le corps peut-il être un outil pour le déjouer ? Et si notre mémoire est défaillante, peut-on répéter des gestes et des mouvements précis ? Et si nos corps nous échappent dans des mouvements ou des colères incontrôlés : comment en reprendre possession, les accepter ou les intégrer à la chorégraphie ? Et si les autres nous font peur, que l’on ne lit pas leurs émotions et leurs mouvements : comment bouger voire même danser ensemble ?
Accompagnée de vingt artistes et performeur.euse.s, la saison 2024 d’Orange Rouge aura pour ambition de considérer et coordonner ces corps divers et leurs ajustements mutuels parfaitement imparfaits. Sous couvert de la fête et du festif les dix-neuf projets exploreront l’inclusif et le lâcher prise. Partant de tous les composants d’une fête : les sons, le décor, les accoutrements, les corps mouvants ou au contraire prostrés, l’ambiance et les différents sentiments de jubilation et de catharsis, les artistes invité.e.s auront pour liberté de se placer avec leurs élèves collaborateur.rice.s exactement là où il le souhaite. Improvisation chorégraphiée, captation de spontanéité, construction ou déconstruction de décor ou de costume, composition sonore, etc. l’ensemble des productions matérielles et immatérielles sera finalement réuni au sein d’une exposition et d’une programmation commune qui n’aura pas d’autre but que de prouver qu’il est possible et surtout jouissif de cohabiter dans nos disparités, y compris dans un joyeux bordel libéré de tout impératif. Un pas de deux, ou plutôt une ronde entrecoupée, où la danse et le mouvement, aussi petits soit-ils, seront utilisés dans leur capacité rassembleuse et comme outils empathique de compréhension mutuelle. Une autre manière, en biais, de dialoguer et de s’unir. Après tout, comme le signale Emma Bigé dans son ouvrage Mouvementements : écopolitiques de la danse : « Il y a en moi des mouvements qui ne sont pas de moi, des mouvements qui me précèdent et dont certains m’instituent (…). Sans cesse, je suis mouvementée, du dedans comme du dehors, par d’autres mouvements que les miens. »1. Acceptons alors ce bouillonnement commun, rassemblons le, joignons nos mains et dansons en ronde, en angle ou en segment, cette farandole de nœuds ensemble, y compris dans l’arrêt et le refus. Libre.
Alexandra Goullier Lhomme
1 Emma Bigé, Mouvementements : écopolitiques de la danse, éd. la découverte, 2023
Biographie
Alexandra Goullier Lhomme est commissaire d’exposition indépendante. Ses recherches curatoriales portent sur la porosité des frontières, qu’elles soient d’ordre géographique, social, temporel ou langagier. Ses réflexions l’ont notamment amenée à s’intéresser particulièrement au médium de la performance dans sa capacité à naviguer entre les arts et à glisser entre les catégories. Commissaire associée et responsable des expositions de Bally Foundation jusqu’en novembre 2023, elle est actuellement co-curatrice de la saison 2023-2024 d’Orange Rouge, membre du Conseil d’Administration de C-E-A / Association française des commissaires d’exposition et co-directrice de Liquid Ground // Swapping Tongues, une initiative curatoriale qui a pour ambition de promouvoir les arts éphémères, les arts performatifs et de publier des écrits d’artistes.
Diplômée de la Sorbonne et de New York University, Alexandra Goullier Lhomme a notamment été assistante curatoriale au Palais de Tokyo (2017 – 2018) et pour le programme d’art contemporain du château de Versailles (2018-2019). En tant que commissaire indépendante, elle a notamment collaboré avec la 80 Washington Square East Gallery (2015), la Fondation d’Entreprise Ricard (2017), le MAMAC de Nice (2017), la Cité internationale des arts (2019, 2022), la Galerie Allen (2019), KADIST (2019), l’IAC de Villeurbanne (2021), la Villa Belleville (2022), la Tour Orion (2023), DOC (2024) et a programmé des performances dans l’espace public.